Dorothée Browaeys, journaliste, auteure et présidente de Tek4life, est convaincue que le gros insecte de notre société vient de la partie la plus profonde de notre économie : la comptabilité.
Le changement climatique ressemble-t-il à la vie comme un suicide collectif ? Une vraie coupe ? C’est ce que nous craignons lorsque nous comprenons que l’erreur vient des profondeurs de notre économie : la comptabilité. Cette machine qui calcule la valeur donnée à tous nos produits ne s’intéresse qu’à une chose : le maintien du capital financier. La nature ? Les vivants ? Des liens sociaux ? Pour elle, il n’existe tout simplement pas, compte pour zéro, rien ! Par conséquent, vous pouvez toujours alerter la catastrophe, prendre le bateau qui coule, tout cela est vain si nous n’éliminons pas les dommages causés à la racine. Pour changer de cap, il n’est pas nécessaire de bouger, nous devrons changer nos méthodes de comptage.
A voir aussi : Comprendre le tarif de rachat de la ferraille : comment évaluer le prix ?
Il est essentiel que de nouveaux indicateurs émergent. Particulièrement pour que les entreprises puissent prendre en compte les impacts des écosystèmes en tant que dette sur leur bilan. Gaël Giraud, économiste en chef à l’Agence française de développement.
A lire aussi : Pourquoi confier la gestion de son patrimoine à un cabinet spécialisé ?
Plan de l'article
« Notre système comptable est aveugle »
Mais d’où vient cette aberration économique ? Ici, les choses les plus simples parlent d’elles-mêmes. Ayez vos bananes. Combien les avez-vous achetés ? 1,30€ le kilo. Pensez-vous que c’est le bon prix ? Si cette valeur reflète le coût de sa production et de sa distribution ? Parce que, oui, il était nécessaire de planter des bananes, de les traiter, surtout avec un formidable pesticide, le chlordécone, de récolter des fruits et de les rapatrier dans les métropoles s’ils viennent de Guadeloupe ou de Martinique. Tout cela n’est pas sans impact sur les sols, la santé des opérateurs (affectés par le chlordécone), le climat (avec les émissions de gaz à effet de serre provenant du transport aérien)… Donc, au prix où ils vous vendent des bananes, vous ne subissez aucun dommage à la biosphère. Au fait, le producteur et aucun des intermédiaires non plus ! Cet exemple n’est pas isolé. Avec l’huile de palme ou le soja brésilien qui supposent la déforestation , nous voyons exactement la même chose absurde. Véritable barre de notre économie, « notre système comptable est aveugle », Corinne Lepage, ancienne ministre de l’Environnement, a publié Corinne Lepage le 7 février 2019 à l’Assemblée nationale lors du symposium intitulé « Comptabilité dans le service de transition environnementale et sociale ». Il n’y a aucun signal dans le système comptable pour arrêter le gaspillage de nos actifs les plus vitaux. Nous devons de toute urgence rétablir l’opinion de nos dirigeants et leur offrir une « boussole des vivants ».
Sortir de notre insignifiance
Très peu, nous avons découvert l’origine de notre autodestruction et, en même temps, nous réalisons qu’il serait possible de sortir de ce logiciel mortel. En examinant les techniques de mesure comptable, nous comprenons rapidement qu’elles sont nées il y a plus de 5 500 ans et qu’elles étaient fondées sur des accords arbitraires, nécessairement arbitraires. Il était nécessaire de peser, d’estimer, de valoriser les produits à négocier et le capital investi maintenu, en particulier pour assurer la transmission. En outre, tout était organisé autour du capital financier. C’est lui qui est assuré, sans se soucier des autres facteurs de production. La nature ne compte pas nos biens communs, tels que l’air, l’eau, les sols, bien qu’ils soient vitaux… non plus. Les conséquences sont incommensurables : les entreprises ou les États peuvent détruire des régions entières (forêts, rivières, deltas…) pour exploiter les gaz de schiste, mettre en œuvre des cultures industrielles, extraire des minéraux… sans jamais les réparer. L’accord est indécent et injuste : Peu à aujourd’hui, ce sont les autorités publiques responsables de la réparation de la pollution (air, eau), des soins de santé (liés aux pesticides, par exemple), tandis que les profits sont privatisés. En France, cela correspond à une contribution moyenne des contribuables d’environ 500 euros chaque année. (Figure citée par Sophie Danlos, TEDx La Rochelle, 21 octobre 2017. Modernisation de la comptabilité : un problème de développement durable).
Face à de telles injustices, les « patchs » ne suffiront pas. Années de Le « développement durable » après Rio (1992) et après la « responsabilité sociale des entreprises » après Johannesburg (2002) ont bloqué quelques correctifs… Certes, les rapports extrfinanciers ont soutenu la visibilité des externalités environnementales et sociales depuis 2001, mais ne les obligent pas à les réduire ou à les éliminer. Fabrice Bonnifet, directeur du développement durable du groupe Bouygues et président du Collège des directeurs du développement durable (C3D), a convenu : « Le modèle qui change radicalement est long et fastidieux. La plupart des grandes entreprises comme Bouygues, Michelin, Danone, Seb, Carrefour, Suez… essaient donc des modèles alternatifs qui coexistent avec leurs modèles traditionnels. » (Source : L’actuarial, mars 2019)
Les entreprises se sentent désormais vulnérables. Ils se rendent compte qu’ils scient la branche sur laquelle ils prospèrent. Les avertissements sont rouges et les coûts de l’inaction contre le climat et les dommages biologiques sont vertigineux. Selon le rapport de juin 2019 Carbon Disclosure Project, le changement climatique coûtera aux 215 plus grandes entreprises du monde au cours des cinq prochaines années, jusqu’à un billion de dollars. À une époque où nous sommes dans une double stagnation sociale et écologique, les entreprises comprennent qu’il n’y a plus de résultats économiques possibles sans performances écologiques et sociales. Par conséquent, il est nécessaire de faire face au même geste. les risques d’effondrement financier, écologique et social , avec une obsession : protéger l’habitabilité de la Terre.
Nous dépendons tous de la nature, mais le modèle économique traditionnel et son approche à court terme sont le moyen de destruction, pas la régénération de la nature : nous voulons y mettre fin. Thomas Lingard, directeur général mondial pour le climat et l’environnement chez Unilever.
L’écologie et les liens sociaux comptent beaucoup !
La solution est très simple : traiter le capital naturel et social exactement comme le capital financier. Pour préserver ce dernier, sa dépréciation est garantie. C’est-à-dire qu’il est prévu de le « réparer » pour prévoir les sommes nécessaires. C’est l’idée développée par Jacques Richard, ancien professeur d’économie à l’Université Paris-Dauphine en 2012 avec sa méthode CARE (Comprehensive Accounting in Ecology). Ainsi, placé dans les passifs des bilans, le maintien du capital vital est garanti. Il s’agit d’une véritable révolution qui ralentit notre économie et, enfin, il est possible que « ce qui compte » soit cohérent avec ce que nous avons réellement.
Cette réforme radicale détourne les règles du capitalisme pour « l’augmenter » . Il remet en question l’ordre comptable dérivé de la dynamique de la normalisation et jalousement gardé par l’IASB (International Accounting Standard Board), une organisation privée basée à Londres, mais de faux nez d’intérêts américains. La « normalisation comptable » n’a jamais été soumise aux débats parlementaires, à la rédaction multilatérale avec des organisations internationales (ONU, FMI, OMC, Banque mondiale…). Si la comptabilité est austère et hermétique, « elle doit entrer dans l’arène politique, car elle est la clé de nos économies », a déclaré Delphine Batho le 16 octobre 2018 (lors du Forum BioResp tenu à l’Académie française de l’agriculture). Dans la continuité, Tek4Life (qui dirige le Forum BioResp) a organisé un tribunal pour les générations futures le 30 septembre pour juger la proposition subversive de Jacques Richard. Une coalition de fabricants, d’universitaires et d’associations Compta Regeneration 2020 est en train de faire évoluer les boussoles comptables. Ils sont développer de nouveaux outils de mesure avec la chaire Partenariat en comptabilité écologique dirigée par Agroparitech, lancée début septembre à l’UNESCO.
Les entreprises expérimentent déjà le modèle CARE : ONET , Auchan Retail, Pernod Ricard, Fleury Michon… tandis que le Groupe Carrefour voit sur ce levier comment communiquer avec le bon prix. Enfin, sur le plan législatif, les députés Mohamed Laqhila et François-Michel Lambert préparent un projet de loi sur l’évolution des normes comptables, soutenu par l’imposant rapport de Patrick de Cambourg, président de l’Autorité des normes comptables, publié en juin 2019. « Le capitalisme est dans une impasse », reconnaît Bruno Le Maire dans une interview publiée le 25 juillet 2019 au Point. Il ne peut plus être établi comme le seul objectif de générer des profits. Cela doit être logique. politique et social. Il a conduit à la destruction des ressources naturelles, à la croissance des inégalités et à la montée des régimes autoritaires. Votre changement est essentiel… » Il reste à convaincre et à guider les gardiens des figures sur une trajectoire sur laquelle peut enfin être la vérité écologique et sociale.